... Où en étions nous ? Ha oui, les retraités. Nous avons vu les "retraités baroudeurs", abordons aujourd'hui la catégorie des retraités "papa-maman" dite aussi "pépère-mèmère"... Cette catégorie comporte deux options: "papa-maman-pépère-mémère-namoureux" ou "papa-maman-pépère-mémère-un crime au paradis"...
Observons tout d'abord la catégorie "namoureux" dans son environnement. Vous sonnez, Madame vous ouvre avec un large sourire épanoui, même si vous tombez mal et sans rendez-vous, on vous embrasse pas mais presque, on vous tend une paire de chaussons (c'était par temps neigeux et gadouilleux) pour ne pas salir un intérieur astiqué et ciré. Comme vous entrez par le garage ou le sous sol, vous traversez la cuisine où mijote depuis 10 h du matin, le bourguignon ou le pôt au feu familial, avant d'être introduite dans le saint des saints : la salle à manger/salon... où vous attend Monsieur, avec un sourire aussi chaleureux que celui de Madame... Vous le dérangez pendant la sacro-sainte lecture de la gazette locale, mais il ne vous en tient pas rigueur... Votre visite imprévue les met en joie... Pour ne pas faire honte à ses meubles encaustiqués, Madame est partie retirer son tablier à fleurs et se refaire une beauté dans la salle de bain, elle revient pimpante et sent bon l'Eau de Cologne... La cheminée est poussée à son plein régime, il doit faire au moins 30°... Sur le buffet en chêne massif, trônent les photos de famille : leurs parents, grands-parents, enfants, petits-enfants... arrières-petits-enfants me disent-ils fièrement.... Traumatisée par le souvenir anxieux de ma mère dès qu'on s'approchait de SA table cirée, je m'inquiète pour celle de mes hôtes et demande la permission d'y étaler mes petits papiers... Madame apprécie : hop, elle enlève la soupière en biscuit et son napperon en dentelle synthétique, hop elle pose une nappe et hop, je m'y étale aussi sec... Madame et Monsieur chaussent leur lunettes après les avoir soigneusement nettoyées... Ils prennent place en face de moi, les bras croisés sur la table, ils sont enfin prêts à m'accorder toute leur attention. Je propose : "vous remplissez, je vous aide ?" ou "je remplis, vous me dictez ?"... La 2e option est souvent choisie au prétexte que la main est trop grosse pour le stylo et que l'arthrose ne facilite pas les exercices d'écriture... Je m'exécute, le bulletin de logement est fait en 5 minutes, ils sont depuis si longtemps dans cette maison qu'ils ne se souviennent parfois même pas de la date précise, et se repèrent aux dates de naissance de leur progéniture... Arrivent les bulletins dits individuels, avec question plus "intimes"... date de naissance, Madame fait la coquette et vous remercie d'un sourire espiègle quand vous lui dîtes qu'elle ne paraît pas l'âge qu'elle déclare (en plus, c'est vrai !)... niveau d'études, ils s'excusent d'un simple certificat d'études ou d'un modeste CAP, je les décomplexe de suite, en leur disant que leur certificat d'études vaut certainement le Bac de maintenant... professions exercées, ils sont fiers de m'annoncer qu'ils étaient "embouteilleur" ou "gainière"... et devant mon air stupide, sont fiers de m'expliquer en quoi ça consistait d'être "gainière"... Monsieur, fier de sa femme, la prie de me montrer quelques unes de ses oeuvres pieusement conservées dans du papier de soie : de jolies boîtes recouvertes de tissu et gainées de jolis galons... Madame ne se fait pas prier.... Volubile, elle m'explique le comment du pourquoi... Monsieur conclut "c'est pas les chinois qui feraient ça !!! en plus, les galons, c'est ma femme qui les faisait.. Hein Maman ???"... Madame approuve... J'admire sans me forcer ces objets d'un temps pas si lointain où la satisfaction du travail bien fait suffisait à remplir la vie d'honnêtes gens... Comme ils sont retraités, on s'arrête à la case 16... Je leur demande de signer... Ils s'empressent et s'exécutent avec application... Je prends congé... C'est là que ça se gâte... Comment ???? on vient chez eux et on repartirait sans REN PRENDRE ???? Il n'en est pas question ! Madame court remettre son tablier à fleurs, Monsieur est prié de sortir le beau plateau cadeau des petits enfants pour la fête des grands mères et on m'offre le Ricoré accompagné de petits biscuits... Les petits biscuits ne se rendent facilement... Le couvercle de la boîte en fer résiste... Les meilleures choses ont une fin... Pour un peu, on les embrasserait... Monsieur me sert la main à me la broyer (pitié, j'en ai encore besoin !!!), je retraverse la cuisine où le pôt au feu embaume.... je redescends les escaliers du sous-sol... quitte mes chaussons douillets... rechausse mes chaussures... Et quitte Madame après avoir une énième fois remercié de l'accueil... Elle me dit que tout le plaisir était pour eux... Je m'autorise à le croire... Avec eux, j'ai mangé mon pain blanc...
Le pain noir sera pour demain ... Enfin, si vous le voulez bien !